UrbeXscape

Vous vous souvenez peut-être les avoir vues passer sur les réseaux sociaux ? En juin 2025, l’enseigne de jeux d’évasion parisienne Team-Time avait diffusé d’inquiétantes images dévoilant que des individus s’étaient illégalement introduits dans son établissement. La police avait constaté l’infraction et les nombreux dégâts, ce qui n’avait pas empêché les faits de se reproduire, encore et encore. Le début d’une spirale infernale…

Aussi plausible soit elle, toute cette histoire n’est qu’une mise en bouche fictive posant les bases scénaristiques d’« UrbeXscape »... Seul événement factuellement exact : cette expérience, présentée comme « la plus grande salle d’escape game de Paris, à mi-chemin entre escape game et aventure horrifique », se déroule bel et bien dans les locaux de feu Team-Time, et a d’ailleurs été créée par la même équipe.

Ce jeu de 100 minutes a ouvert mi-juillet 2025. Nous l’avons découvert un peu plus d’un mois après. 

Le scénario

« Vous avez toujours rêvé de faire de l’urbex mais c’est illégal et dangereux ? Vous avez de la chance, cette fois... ça ne sera pas illégal. Au 26 rue Richer, dans le 9e arrondissement, il y avait un escape game très apprécié : Team-Time. Des milliers de joueurs sont passés par le Bunker zombie et Mafia District, les deux salles ouvertes en 2015 et 2016. Des avis encore 5 étoiles en 2025, tout allait pour le mieux jusqu’à cette nuit où tout a basculé. Des individus étranges se sont introduits dans le local... et, depuis, en ont pris possession.

Maintenant, avec l'accord de la gérante de l'ancien escape, je fais des rentrées d'argent qu'on se partage. Elle, ça lui paye le loyer ; moi, ça me regarde. Vous aimez les escape games ? Vous adoreriez faire de l'urbex ? Il se peut que cet endroit soit fait pour vous... Je serai votre guide, je ne répondrai pas de votre sécurité, mais j'essaierai de vous sortir du pétrin si ça dérape. Vous avez besoin de deux choses : arriver à l'heure et être très discrets une fois dedans. »

Quand l’exploration urbaine vire au cauchemar

« UrbeXscape » compte de nombreux points forts, le premier étant sans aucun doute la qualité de son immersion. L’expérience se compose de deux phases relativement distinctes, ce qui vous permettra d’être témoin d’une belle et maîtrisée montée en tension multifactorielle : vous êtes sur place pour explorer la zone, bien sûr, mais il n’est pas dit que cette session d’urbex ne se transforme pas en horrible cauchemar…

La première chose à laquelle on pense pour décrire cette immersion parfaite, ce sont les décors, densément bordélique, volontairement poisseux et glauques. À l'aide de vrais déchets, de vêtements délaissés, de graffitis crédibles, l’enseigne réussit à nous donner l’illusion d’entrer dans un squat. Le chaos et l’obscurité règnent en maître, mais aussi les fortes odeurs qui imprègnent les pièces, comme pour mieux leur procurer une identité. Peut-être croiserez-vous même quelques insectes volants… Bref, « UrbeXscape »  n’aurait pas pu matérialiser de façon plus réaliste ce bâtiment abandonné mais squatté, délabré mais occupé.

Si vous avez eu la chance de jouer les rooms de Team-Time, l’exploration n’en sera que plus savoureuse : vous reconnaîtrez forcément un minimum les lieux, essaierez de vous repérer en fonction de ce dont vous vous souvenez. La surface de jeu est immense, les concepteurs ne mentent pas lorsqu’ils s’annoncent comme « la plus grande salle d'escape game de Paris ».

Mais cette immersion va au-delà des décors et de l’atmosphère : elle concerne aussi le récit qui vit et se développe sous nos yeux. S’il est rare que les aventures horrifiques s'embarrassent d’une vraie intrigue, il est encore plus rare que celles qui racontent une histoire le fassent sans employer a minima des vidéos, des audios ou des textes, ce qui peut être rébarbatif et parfois sonner faux. Ici, « UrbeXscape » emploie à merveille la narration environnementale. Vous ne lirez aucun texte, ne visionnerez aucune vidéo, à peine entendrez-vous quelques explications audios parfaitement intégrées au scénario. Pourtant, ces péripéties très efficaces pourront être comprises sans effort, simplement en observant ce qui vous entoure. Dès les premières minutes, l’enseigne mettra aussi sur votre chemin, et donc dans votre esprit, des détails à première vue insignifiants mais qui prendront tout leur sens dans l’heure qui suit. De même, il vous sera possible de déduire instinctivement une information absolument cruciale sur les squatteurs, ce que l’on a particulièrement apprécié.

Un exemple super intelligent de recyclage

Car, oui, une fois sur place de nombreux indices viendront vous confirmer que feu Team-Time est effectivement habité... « Rappelez-vous que vous serez en plein urbex dans un ancien escape game squatté, il y a de fortes chances que vous vouliez vous cacher ou fuir si vous entendez quelqu’un ou quelque chose », révèle la FAQ du site d’UrbeXscape. Ces courses-poursuites et parties de cache-cache concentrent toute la dimension horrifique de la mission. Quelques jumpscares vous attendent au tournant, bien sûr ; jusqu’à une séquence finale, bien que très brève, durant laquelle l’enseigne s’essaie à une mise en scène davantage posée, plus théâtrale.

Le seul point qui nous ramène régulièrement à la réalité une fois lancé, ce sont les énigmes. Si leur conception n’est pas remise en question – elles sont bien ficelées et parfaitement fluides, nous n’avons d’ailleurs eu besoin d’aucune aide –, c’est leur intégration au sein de l’intrigue qui peut interroger, véhiculant parfois un sentiment d’artificialité. Quelques exceptions sont à noter néanmoins, lorsque les créateurs jouent sur le sentiment d’urgence et la capacité des urbexeurs à se débrouiller pour progresser ou fuir ; mais aussi quand le gameplay repose explicitement sur l’ancienne nature du lieu, un axe que l’enseigne aurait peut-être pu plus emprunter pour personnaliser davantage son jeu.

Les manipulations et mécanismes proposés sont plutôt basiques mais font l’affaire. Les casse-têtes sont relativement peu compliqués ; il peut paraître logique que dans l’ambiance flippante d’UrbeXscape, l’accent ne soit pas mis sur la réflexion. Beaucoup reposent sur une fouille méticuleuse des lieux, un parti-pris pertinent. Les teams minutieuses et qui ont une bonne capacité à dompter leurs peurs pourront par conséquent terminer l’expérience en largement moins de 100 minutes.

« UrbeXscape » est un exemple super intelligent et original du recyclage d’un espace et de l’histoire d’un lieu, même si pas mal de changements ont finalement été opérés depuis l’époque de Team-Time. Vous ne reconnaîtrez pas tout, loin de là, de grosses surprises vous attendent. Redécouvrir l’enseigne parisienne dans un tel contexte, des années après – 10 ans pour notre part –, a une saveur unique ! Le scénario développé est lui aussi très malin, avec d’un côté Nox et son business d’urbex, et de l’autre ces fameux squatteurs qui n’auront bientôt plus aucun secret pour vous. Surtout, ces rebondissements se révèlent aux équipes progressivement, sans aucun audio ni vidéo extradiégétiques, à la seule force de l’environnement. Un bel effort assez rare pour être souligné pour un résultat que l’on a adoré.