
11S
Aventure | Exploration
90 min
2 à 5 joueurs
Intermédiaire
👍 Très bien
30 à 47€/joueur
dès 16 ans
Anglais, Espagnol
Fouille
Manipulation
Réflexion
Il n’y avait que l’enseigne barcelonaise Open Mind Room Escape pour proposer un escape game sur le thème des attentats du 11 septembre 2001. Non pas qu’elle fasse une fixette – elle a par exemple créé une mission horrifique qui se déroule dans une cabane abandonnée, rien à voir donc –, mais pas loin : « Misión SWAT » raconte l’histoire d’une vengeance contre un commando terroriste, quand « Artificiero » vous invite à désamorcer une ceinture explosive.
Un attentat peut-il donner lieu à la création d’une activité de loisir tout en respectant les victimes, leurs proches et globalement toutes celles et ceux qu’il a atteint ? Dans quelle mesure est-ce entendable qu’une société commercialise un jeu reposant sur des événements à l’origine de près de 3000 morts, qui a encore des supposées conséquences humaines désastreuses aujourd’hui ? À notre connaissance, Open Mind Room Escape ne reverse rien à une fondation liée au 11 septembre.
« 11S » a ouvert en août 2023. Cette même année, la room a atteint la 47e place du classement des meilleures du monde. En 2024, elle figurait toujours au sein du top 100 des TERPECA, à la 68e position. Au niveau national aussi, elle s’est particulièrement distinguée en 2023, en étant élue 2e meilleure salle de l’année, 2e meilleure expérience, et en gagnant la catégorie couronnant les meilleures énigmes aux Escape Room Awards espagnols.
Nous avons découvert cette aventure en mai 2025.
Le scénario
« Ce matin, tout semble normal. Le FDNY – Fire Department of the City of New York – affronte une nouvelle journée d'entraînement et de préparation. Charles Brown mène ses hommes, inconscient de ce qui les attend. Un grondement de tonnerre secoue la ville en plein cœur de Ground Zero. Il est temps d'agir, sans même savoir ce qui s'est passé. Seuls le chaos et une peur qui briserait le cœur même des plus courageux se répandent. Pas le temps de réfléchir ; il faut agir. Vous êtes le FDNY, le pays a besoin de vous, et vous savez que vous êtes né pour ça. Pourtant, vous n’auriez jamais pu imaginer ce qui vous attend. »
« Commémorer ce jour fatidique »
« 11S » nous a spontanément fait penser à deux cas qui avaient beaucoup fait parler à leur époque. En 2016, une entreprise néerlandaise avait créé un gros malaise en proposant un escape game inspiré de l’histoire d’Anne Frank ; en 2017, une enseigne tchèque avait fait un tollé avec une expérience sur le thème d’Auschwitz. Comment réagirions-nous, à Paris et dans toute la France, si un jeu d’évasion sur l’attentat du Bataclan, par exemple, venait à voir le jour ? Aux États-Unis, il est fort probable que jamais personne n’aurait osé sortir une salle sur le 11 septembre... Pas si tôt. À 6000 km de là, des Espagnols ont franchi le pas.
Une différence de taille est à noter néanmoins : dans les deux missions citées au début du paragraphe précédent, les joueurs incarnent des hommes et femmes pris au piège dont le but est de s’évader, tandis que dans « 11S » les équipes sont dans la peau de secouristes intervenant juste après l’événement. Le jeu ne nous défie donc pas d’échapper à une situation qui, dans la vraie vie, nous aurait conduit à une mort certaine – ce qui revient en quelque sorte à la minimiser. Ici, nous sommes invités à entrer dans l’une des deux tours jumelles alors que des avions viennent de les percuter, afin de sauver ceux qui peuvent encore l’être.
Sur son site web, Open Mind Room Escape se pose en héros : « Nous avons osé nous remémorer et commémorer ce jour fatidique », affirment les créateurs, comme soulignant un acte de courage. Des mots maladroits, selon nous un peu à l’image de la salle. Lorsqu’on choisit d’exploiter cette thématique pour faire revivre « des histoires de personnes qui, sans aucun doute, ne doivent pas être oubliées », il nous semble important, par déférence et pudeur envers les victimes et leurs proches, d’être le plus sobre possible, de ne jamais tomber dans le gore pour ne pas créer de malaise, et même de ne pas opter pour un gameplay trop ludique pour ne pas provoquer un décalage gênant. Tout doit être pesé, pensé, millimétré, concerté. Le sujet est bien trop grave pour jouer avec les émotions des gens.
Entre grosses maladresses et réussites
Là où « 11S » fait selon nous preuve de maladresse, c’est lorsque le jeu enchaîne cadenas sur cadenas en nous faisant résoudre des énigmes assez basiques voire carrément hors sujet au vu du contexte. Cela arrive très souvent au cours de la partie, trop souvent. Il y a quelque chose de dérangeant, presque indécent, à collecter des disquettes ou observer des chaises sous toutes les coutures, par exemple, alors que dans la bande son des hurlements de désespoir retentissent.
Les rebondissements finaux nous ont également paru en trop. Une action en particulier est inutilement gore. Mieux vaut alors essayer de ne pas penser au fait que des personnes se sont peut-être vraiment retrouvées dans cette situation tragique... Selon nous, Open Mind Room Escape aurait gagné ici à être plus sobre, à montrer les victimes sous un jour plus digne. L’étape qui arrive juste après pourra d’ailleurs devenir grandguignolesque étant donné notre inexpérience dans les manipulations que l’on nous demande, alors que le moment ne se prête pas du tout à ricaner.
En revanche, ce que « 11S » réussit plutôt bien à notre avis, c’est la manière dont les joueurs progressent dans les décors. On a réellement l’impression d’être des pompiers et pompières cherchant coûte que coûte à se faufiler pour se rapprocher des victimes. On crapahute, on grimpe, on rampe, et parfois on emploie des méthodes fortes à l’aide d’outils qui feraient blêmir beaucoup de gérants d’escape game étant donné les dégâts qu’ils pourraient causer s’ils étaient mal utilisés. Ces manipulations géniales sont très réalistes et bien pensées, et elles ajoutent donc incontestablement à l’immersion. A contrario, la surface exploitée par Open Mind Room Escape est forcément trop petite pour que l’on se croie dans les couloirs d'un gratte-ciel. Cela dit, le résultat est quand même assez impressionnant : l’enseigne a parfaitement utilisé la hauteur sous plafond dont elle dispose, et est aussi parvenue à imbriquer différents environnements avec brio, provoquant de réguliers effets wahou.
Mais les mieux placés pour se prononcer sur la démarche d’Open Mind Room sont encore ceux qui ont été les plus touchés par ces attentats. Les créateurs du très respecté blog Room Escape Artist sont new-yorkais, un membre de leur équipe a perdu un proche le 11 septembre 2001 dans l’une des twin towers. Ils ont eu l’occasion de découvrir cette aventure en avril 2024. Voici ce qu’ils en disent : « Je crois que des jeux comme celui-ci peuvent et doivent exister… Mais il est tellement difficile de bien le faire, de le faire respectueusement, et d’avoir une profonde et pleine appréciation de la souffrance des personnes qui sont mortes ce jour-là, qui sont mortes depuis, et des vivants qui sont obligés de faire face aux conséquences des actions de ces monstres. 11S est un paradoxe. C'est génial et c'est faible, c'est intéressant et c'est frivole. Je l'adore et je le déteste. Je suis content d'y avoir joué, et il me faudra du temps pour me pardonner de m'être forcé à revivre cette horrible journée. Je dois également ajouter que voir une salle sur le 11 septembre exploitée par une entreprise à but lucratif est une pilule difficile à avaler. »
Un mémorial à la fin de la partie
Dans le fond, nous, l’équipe d’EscapeGame•fr, tout comme les Américains de Room Escape Artist, ne doutons pas un seul instant que les créateurs aient voulu rendre hommage aux victimes tout comme aux secouristes qui se sont battus ce jour-là. Le petit mémorial, dans lequel vous terminerez la partie, va dans ce sens. Il nous permet d’ailleurs de mieux comprendre pourquoi tel ou tel casse-tête a été implémenté, de réaliser qu’ils étaient parfois des allusions à des personnes qui ont réellement existé, et donc une façon de revivre ce à quoi elles ont fait face.
Ce mémorial sert aussi à la diffusion d’une vidéo. Passons sur le fait qu’elle contient des images encore une fois inutilement choquantes… On se serait par exemple bien passé de (re)voir celle des employés qui mettent fin à leurs jours en se jetant par les fenêtres – il ne coûterait pas grand-chose au game master de prévenir afin que les joueurs puissent la visionner ou non en connaissance de cause. Cette vidéo montre également le témoignage de William Rodriguez, concierge qui fut le dernier à sortir vivant de la tour nord après avoir sauvé de nombreuses vies grâce à la master key qu’il détenait. L’homme explique avoir validé la démarche d’Open Mind Room Escape, qu’il remercie de mettre en lumière les événements qui se sont déroulés au World Trade Center ce jour-là.
« 11S est un escape game réaliste, tente de résumer l’enseigne barcelonaise. Ce jeu transmettra la pression et le réalisme de la situation. Vous incarnerez un pompier et devrez vous préparer à agir comme tel. Vous jouerez un jeu, mais serez obligé de l'oublier. Vous laisserez vos émotions prendre le dessus, mais en réalité il vous faudra faire preuve de sang-froid pour réussir. » Nous voulions absolument nous faire notre propre avis sur cette aventure, sur ses nombreuses récompenses mais aussi ses supposées maladresses. Elle restera comme l’une des plus étranges que nous avons eu l’occasion de tester.
Découvrez le teaser vidéo de la salle « 11S » :
Prix et récompenses
Salle récompensée aux TERPECA
- 47e du classement des meilleures salles 2023
- 68e du classement des meilleures salles 2024
Avis de la communauté : 75% de satisfaction
7 joueurs ont donné un avis sur ce scénario et 1 joueur l'a ajouté à sa todo-list.